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Rapport du bureau des Nations Unies contre la Drogue et le Crime

sur le trafic de produits médicaux au Sahel

Note de synthèse rédigée par Quentin Duteil de l’Association OPALS

Références du document : Trafficking in medical products in the Sahel. Transnational Organized Threat Assessment Sahel. United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC). 2022. Publié le 1er février 2023. https://news.un.org/en/story/2023/02/1133062

Le rapport, financé par l’Allemagne, se base sur les données transmises par les Etats membres (gouvernements et forces de l’ordre) et les organisations internationales, notamment le programme de surveillance de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Il porte sur 5 pays francophones : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad.

Principaux constats du rapport :

  • Forte prévalence des maladies infectieuses au Sahel (en particulier le paludisme) et difficultés d’accès aux médicaments et aux soins (disponibilité et coût) créent une situation dans laquelle les circuits légaux d’approvisionnement de produits médicaux ne parviennent pas à répondre à la demande de soins. Cette disparité entre demande et offre de produits médicaux est exploitée par les groupes criminels organisés. Entre 2017 et 2021, au moins 605 tonnes de divers produits médicaux ont été saisies en Afrique de l’Ouest lors d’opérations internationales (sans compter les dizaines de tonnes saisies par les forces de l’ordre nationales).
  • Bien qu’il n’existe pas d’estimations fiables de la quantité totale de produits médicaux faisant l’objet de trafic au Sahel, les études évaluent entre 19 et 50% le taux de produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés sur le marché (sans exclure la possibilité que les taux réels soient dramatiquement plus élevés, jusqu’à 65 voire 80% de produits en circulation). Entre 2013 et 2021, 40% des produits médicaux de qualité inférieure ou falsifiés identifiés en Afrique de l’Ouest ont été découverts au sein de la chaîne de distribution légale.
  • Toutes les classes thérapeutiques sont concernées par la falsification. Les médicaments les plus touchés sont, par ordre décroissant : antiparasitaires (principalement antipaludiques), antibiotiques, antidouleurs, médicaments de la sphère génito-urinaire (stimulants sexuels mais aussi pilules contraceptives).
  • Le tramadol représentait, en 2017, 91% de l’ensemble des opioïdes saisis en Afrique de l’Ouest. Son trafic est largement lié à un usage non-médical.
  • L’Afrique sub-saharienne importe 70 à 90% des médicaments dont elle a besoin. En raison du détournement des produits médicaux depuis les canaux de distribution légaux, les saisies révèlent souvent des produits médicaux provenant des principaux pays exportateurs vers l’Afrique sub-saharienne : Belgique, France, Inde, Chine.
  • Mais les produits médicaux détournés et/ou illicites sont également fabriqués dans des pays voisins : Ghana, Nigeria, Algérie, Maroc, Tunisie.
  • Cinq ports du golfe de Guinée constituent les principaux points d’entrée du trafic vers le Sahel :  Conakry (Guinée), Tema (Ghana), Lomé (Togo), Cotonou (Bénin), Apapa (Nigéria) ; plus de 41 tonnes de produits médicaux ont été saisies dans ces ports uniquement entre 2018 et 2021.
  • Le trafic par voie aérienne (colis postaux ou transport par des passagers) est utilisé pour de plus petites quantités de produits médicaux (plus de 5 tonnes ont été saisies dans les aéroports de la région entre 2018 et 2021). L’aéroport d’Abidjan est l’un des principaux carrefours de transit de ces produits.
  • Falsification de documents et corruption figurent parmi les méthodes utilisées par les criminels pour dissimuler ou faciliter l’embarquement de leurs produits.
  • L’appât du gain conduit un large éventail d’acteurs opportunistes à s’impliquer dans le trafic : employés de firmes pharmaceutiques, fonctionnaires, agents des forces de l’ordre, professionnels de santé, petits revendeurs des rues…
  • Certains membres de la diaspora africaine en Asie, et de la diaspora asiatique en Afrique de l’Ouest, semblent jouer un rôle de premier plan.
  • La corruption au sein des agences de surveillance, de contrôle et de police est citée comme « le problème fondamental » entravant une lutte efficace contre le trafic.
  • L’implication de milices armées et de groupes terroristes semble limitée, essentiellement tournée vers la consommation de produits médicaux illicites (tramadol, clonazepam…) et le prélèvement de taxes sur les produits circulant sur les territoires qu’ils contrôlent.
  • Le trafic de produits médicaux constitue un obstacle au développement des pays du Sahel. Il découle du problème récurrent de l’accès aux médicaments et aux soins de qualité dans la région (défaillances des systèmes de santé, manque de centres publics de santé, de ressources humaines qualifiées, de moyens économiques, corruption, absence de couverture sociale pour les plus démunis…).
  • Les produits médicaux falsifiés sont, par nature, difficiles à détecter, car ils copient l’apparence des produits authentiques et ne causent pas toujours d’effets indésirables.
  • Selon l’OMS, en Afrique sub-saharienne, les antipaludiques sous-standards et falsifiés causeraient la mort d’entre 72 000 et 267 000 personnes par an. En outre, jusqu’à 169 000 enfants mourraient chaque année en raison de l’utilisation d’antibiotiques falsifiés ou sous-standards pour traiter des pneumonies sévères.
  • Le trafic de faux médicaments érode la confiance de la population envers le gouvernement et les services de santé, donc envers leurs recommandations (y compris concernant la vaccination), entraînant une moindre acceptation de celles-ci.
  • Ce trafic a, par ailleurs, d’importantes conséquences économiques :
    • Directes : selon l’OMS, la prise en charge médicale des malades ayant consommé des antipaludiques de qualité inférieure ou falsifiés coûterait entre 12 et 44,7 millions de dollars par an.
    • Indirectes : perturbant la concurrence entre les fabricants et les vendeurs de médicaments du circuit légal, entravant le développement de l’industrie pharmaceutique en saturant le marché de faux médicaments…
    • Générales : menaçant l’intégrité du système financier des pays, par le blanchiment des capitaux issus du trafic, réinvestis dans l’économie licite.
  • Par la corruption et la violence, les groupes criminels impliqués dans le trafic dégradent et affaiblissent l’Etat de droit.

Recommandations :

  • La menace du trafic de produits médicaux nécessite une réponse plus forte et coordonnée à l’échelle nationale et internationale, afin d’améliorer l’accès aux médicaments de qualité et de détecter et combattre les atteintes visant la chaîne de distribution. Ces deux aspects doivent être traités simultanément : se concentrer sur la limitation des flux illicites risquerait d’être inefficace voire contreproductif, car les populations du Sahel n’ont parfois aucune alternative aux marchés des rues.
  • La législation pénale des pays du Sahel, parfois ancienne, n’est plus adaptée à l’évolution et la complexité croissante du crime pharmaceutique. De simples amendes, par exemple, sont insuffisantes pour dissuader les criminels.
  • Elle doit être renforcée pour lutter spécifiquement contre ce trafic mais également contre les activités criminelles associées (contrebande, blanchiment d’argent, corruption…).
  • La coopération transfrontalière est indispensable, tant pour le partage d’informations que pour la mise en œuvre d’opérations communes. Considérant la proportion estimée de produits médicaux illicites pénétrant la chaîne de distribution légale, la protection de celle-ci par une mobilisation policière et judiciaire doit être une priorité.

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Les chiffres du rapport :

  • Au moins 605 tonnes de produits médicaux saisies lors d’opérations internationales en Afrique de l’Ouest entre 2017 et 2021.
  • Les produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés représenteraient entre 19 et 50% du marché au Sahel.
  • 40% de ceux identifiés entre 2013 et 2021 l’ont été au sein de la chaîne de distribution légale.
  • Densité de médecins, infirmières et sages-femmes pour 1 000 habitants :
  • Seuil minimal fixé par les Objectifs de Développement Durable (ODD) : 4,45
  • Niger : 0,4
  • Tchad : 0,6
  • Burkina Faso : 1,3
  • Mali : 1,4
  • Mauritanie : 2,1
  • Nombre de pharmacies pour 10 000 habitants (en 2018) :
    • Moyenne mondiale : 4
    • Niger : 0,027
    • Tchad : 0,033
    • Mali : 0,095
    • Burkina Faso : 0,15
    • Mauritanie : 0,18
  • 590 centres de santé empêchés de fonctionner au Sahel en raison de l’insécurité.